Novembre 2021 :
La Cour des Comptes critique la formation citoyenne de l’Education nationale
« Une étape doit être franchie pour donner du sens et de la cohérence aux différents dispositifs. La période est favorable à une action de ce type ». Alors que le ministre vante ses référents « Valeurs de la République », la Cour des Comptes étale la faiblesse du pilotage ministériel et du niveau des élèves. Dans un nouveau rapport, la Cour des comptes appelle à renforcer la formation citoyenne à tous les niveaux et à faire de l’Education nationale son pilote unique. Il invite le Conseil supérieur des programmes à revoir les programmes et les évaluations. Il demande aux inspecteurs d’évaluer les professeurs en EMC. De telle sorte que, de l’école au Service national universel, s’installe un parcours cohérent. Si le bilan est sévère pour JM Blanquer, il apporte des perspectives qui prolongent son discours.
Des enseignements peu portés dans le système éducatif
L’éducation à la citoyenneté a pris bien des noms. Mais, si les républicains l’ont imposé au primaire dès 1882, elle n’a pas toujours existé dans le second degré où elle a même totalement disparu pendant une décennie. Ce sont les événements de 2015 et 2015 qui ont fait apparaitre le « parcours citoyen », l’EMC et l’EMI.
Le premier intérêt du rapport c’est une étude très précise de la façon dont ces enseignements sont réalisés dans les classes. Faute de données éducation nationale, la Cour a enquêté et réalisé des sondages auprès des élèves, des chefs d’établissement et des personnels.
Pour l’EMC, le rapport estime qu’il se réduit au « vivre ensemble » dans le premier degré. Dans le second degré, l’EMC sert de « variable d’ajustement » pour les services des enseignants et son enseignement passe après les exigences des programmes. La Cour relève que l’EMC est très peu évaluée, malgré des épreuves au brevet et au bac. Les enseignants sont aussi très peu inspectés en EMC. C’est pire pour l’EMI qui n’a ni programme ni horaire. Pour la Cour, l’EMI n’est pas pris en charge au primaire. Dans le second degré il est porté par les professeurs documentalistes. 64% des personnels de direction se déclarent satisfaits de sa place. Mais seulement 29% des professeurs documentalistes.
Ce que montre la Cour c’est que le niveau de connaissances des élèves est faible. » Aux questions relatives à la liberté d’opinion, 51 % des jeunes du lycée général ont eu exclusivement des bonnes réponses tandis que c’est le cas pour 34 % des jeunes des lycées professionnels et pour 33% des jeunes non scolarisés. La fracture est encore plus nette pour les questions internationales. Interrogés sur l’ONU, 40% des jeunes en lycée général ont eu toutes les bonnes réponses contre 17 % parmi les jeunes du lycée technologique, et 13 % du lycée professionnel« , note la Cour.
Selon elle, l’Education nationale pilote mal le parcours citoyen. Le rapport montre la multiplication des « journées » commémoratives et des référents. Mais il n’y a pas de coordination ni au niveau académique ni au niveau local. La plupart des référents académiques sont des inspecteurs qui ont d’autres tâches plus urgentes à effectuer. Enfin la Cour juge la formation initiale et continue des enseignants insuffisante.
Une citoyenneté scolaire peu valorisée
La Cour a aussi enquêté sur la citoyenneté scolaire, celle des élèves. Si les délégués de classe sont généralisés dans le 2d degré, les CVL rencontrent peu d’intérêt. Le taux de participation à leur élection ne cesse de baisser : de 48% en 2008 on est arrivé à 38% en 2020. Ce sont plutôt des élèves favorisés qui prennent ces responsabilités. C’est très clair au CNVL (le conseil national) où seuls deux élus lycéens sont de milieu populaire sur 60. La Cour explique cette situation par le désintérêt des adultes et la faible valorisation de l’engagement lycéen dans l’institution scolaire.
En dehors de l’Ecole, la Cour constate la multiplication des dispositifs : service civique, SMA, JDC. Rien n’est coordonné et au final cela ne touche que 250 000 jeunes de 16 à 25 ans (sans la JDC). A noter le très faible intérêt de la Cour pour l’éducation populaire qui est pourtant une grande école de citoyenneté.
La Cour appelle à renforcer les formations à la citoyenneté en tirant davantage profit des 2 milliards dépensés pour les différents dispositifs (un milliard à l’Ecole, un milliard en dehors).
Evaluer et piloter
Pour l’Education nationale, la Cour demande à renforcer les programmes en faisant appel au Conseil supérieur des programmes. Elle veut aussi renforcer l’évaluation des élèves et des professeurs en EMC. Pour l’EMI elle demande des indicateurs. La Cour demander aussi de revoir la formation initiale et continue des enseignants. Elle semble déjà avoir été entendue tant la nouvelle formation initiale des professeurs intègre un apprentissage de la vision ministérielle de la laïcité pour une nouvelle épreuve. En dehors de l’Ecole, elle juge que le SNU peut être l’instrument pour coordonner les dispositifs qui devront tous « accentuer leur dimension civique« .
Mais c’est surtout le pilotage que la Cour veut revoir. Pour développer la formation citoyenne, la Cour demande un pilote unique de la maternelle au SNU. Elle constate la faible influence de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative au ministère. Elle demande qu’un unique pilote ministériel coordonne toutes les formations et tous les dispositifs.
Relancer la formation citoyenne
Et elle demande que ce soit fait maintenant. Le plus important c’est peut-être les rasions invoquées. » La période est favorable à une action de ce type pour diverses raisons. Une sourde inquiétude émane du corps social face aux signaux qui révèlent la fragilisation de la citoyenneté : désertion des urnes par les jeunes citoyens, montée des attaques contre la laïcité à l’école, apparition de tendances séparatistes…Pour autant, les jeunes, qui semblent plus réticents qu’auparavant envers les modes d’expression traditionnels de participation à la vie démocratique, sont prêts à s’engager pour des causes nouvelles et selon des modalités inédites qui traduisent en définitive leur volonté de prendre part à la « chose publique ». Au même moment, la constitution d’un grand ministère chargé de l’éducation et de la jeunesse peut faire émerger un continuum dans la formation, qui dépasse le cadre scolaire pour englober la période d’engagement citoyen des adolescents et jeunes adultes… Il lui revient de se saisir pleinement du service national universel, en concrétisant une perspective qui exige encore nombre de décisions et qui ne pourra déboucher que si elle est socialement acceptée, juridiquement fondée et financièrement soutenable« .
Malgré ces réserves, qui touchent d’ailleurs principalement le SNU qui semble bien mal parti, la Cour des comptes demande la relance d’une « formation citoyenne » sans jamais en préciser le contenu, alors même qu’elle en signale la très grande « plasticité ». A la lueur des débats politiques et des penchants personnels de JM BLanquer et son équipe, un tel renforcement de la formation citoyenne ne se fera pas sans réactions; Déjà la nouvelle épreuve des concours où le candidat doit connaitre par coeur le guide laïcité du ministère, les propos ministériels invitant à licencier des enseignants qui ne se plieraient pas à l’idéologie « républicaine » du ministre, suscitent des inquiétudes.
François Jarraud le mercredi 24 novembre 2021.
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Le rapport :
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-formation-la-citoyennete
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